La pluie battante m’avait saisi dès ma sortie de l’auberge. Je grelottai, suivant machinalement le chemin qui me menait à la nécrôpole. Mes pas, l’un après l’autre, me rapprochaient de mes compagnons oubliés si longtemps. Mon absence avait durée. Un jour, une semaine, un mois… Puis tout se mêlait, le temps se réduisait, et on ne comptait plus les levés de soleil, les cycles de la lune, les saisons.
Seul comptait maintenant le réveil. Cette volonté de se retrouver auprès d’eux, d’aller de l’avant, et de les revoir, un verre à la main, le sourire aux lèvres, toujours une plaisanterie salace dans la tête.
La porte de la nécrôpole était maintenant face à moi, et j’en poussais timidement le battant. Je me revoyais, des années en arrière, jeune et frêle, ouvrant cet antre pour la première fois. J’avais les mêmes sensations. Je ne savais pas ce que j’allais voir, qui j’allais retrouver. Tout n’était qu’inconnu. Ce lieu si familier m’impressionnait, et il me fallut tout mon courage pour franchir le seuil.
Ils étaient là, dans la salle commune. Des visages connus, des nouveaux qu’il me faudrait surement connaitre, et bien sûr, lui. Il était toujours présent. Debout, appuyé sur le manteau de la cheminée, le regard perdu dans l’âtre, une once de mélancolie semblant envahir son âme. Ses cheveux étaient plus long, ses épaules plus larges. Il paraissait plus musclé. Combien de temps m’étais-je absenté ? Comment avait-il réagi à cette nouvelle indifférence ?
Une rafale de vent fit claquer la porte, et je sentis les regards sur moi. J’observai maintenant plus attentivement mes interlocuteurs. Il y avait Shiraï, les yeux grands ouverts d’étonnement de me revoir, mais un léger sourire au coin des lèvres. Goldô était affalé dans un fauteuil, dans le fond de la pièce, et je sentis mes lèvres se pincer à sa vue. Je n’avais toujours pas accepté son départ imprévu lors de mon passage dans l’antichambre, alors qu’il m’avait guidé jusque-là. Je voyais d’autres visages, que je reconnaissais plus ou moins, certains avaient vieillis, d’autres mûris. Puis son regard, indéchiffrable, bien plus sombre que dans mes souvenirs. Il dardait sur moi ses prunelles noires, et je ne pouvais qu’imaginer ce qu’il s’était passé pendant mon absence.
L’atmosphère était lourde, étouffante. Il fallait que je parle maintenant, que je m’explique, je sentais déjà mon courage vaciller. Je ne craignais pas une armée, mais là, c’était le jugement de mes compagnons qui m’attendait. Inspirant profondément, je me décidais à détendre l’atmosphère. Le ton léger, le regard franc, je lançais à qui daignerait me répondre.
Salut les gars ! Alors, ma chambre, elle est toujours à la même place ?
L’interjection était adressée à tous, mais mon regard n’embrasait que Dio. Je voulais m’approcher de lui, lui parler pendant des heures de mon absence, de mes regrets, de mes souhaits maintenant. Je voulais sentir la chaleur réconfortante de ses bras autour de moi, son souffle sur ma peau, tandis que ses mains joueraient avec une de mes mèches rouges. Je ne m’en sentais plus le droit. Je l’avais abandonné, et il me fallait tout reprendre depuis le début.
Je baissai les yeux au sol, pris une grande respiration puis continuai sur mon ton faussement jovial, me redressant.
Alors, vous allez finir par dire bonjour ?
Jeu 1 Oct 2015 - 20:41